Par Pierre Gourinard
Lors de la rentrée universitaire à la Faculté de Droit de Montpellier en novembre 1940, Pierre Henri Teitgen, futur Garde des Sceaux, ouvre son cours de Droit constitutionnel en première année, en précisant à son auditoire que ce cours n’a aucun sens, puisqu’il n’y a plus de Constitution. Cet exemple qu’il faut replacer dans son contexte, pourrait être transposé à notre époque, où, parler des institutions politiques semble être incongru, tant il est difficile de dire que l’État existe toujours.
Le déséquilibre que nous constatons actuellement dans les institutions françaises provient du Siècle des Lumières, d’une remise en cause du pouvoir royal au nom d’abstractions et, dans l’interprétation actuelle, d’une méconnaissance de la réalité de la monarchie d’Ancien Régime dans le concept même de monarchie absolue
De Jean Bodin à Bossuet, tous les auteurs insistent sur le fait que la monarchie absolue de droit divin n’est ni arbitraire ni despotique. Une série d’obligations s’impose au Roi et en premier lieu le respect des Lois fondamentales. Pour Bossuet, « le Roi doit se souvenir qu’il règne sur des sujets, non sur des esclaves ». Pour Massillon, « il commande à une nation libre ». Pour Le Bret, « le pouvoir du Roi doit s’exercer avec discernement, justice et modération ».
Il est important de tenir compte, durant les dernières années du XVIIIe siècle, de l’effritement du sens de l’autorité de l’État. Selon monsieur Harouel, « en se laissant paralyser par le respect des privilèges et en cessant de parler fermement au nom de l’État, la monarchie a créé un vide du pouvoir par lequel s’est engouffrée la Révolution. Et celle-ci va être le creuset d’un État autrement plus absolu que celui de l’Ancien Régime ».
Pour éviter toute équivoque sur le vocabulaire, il faudrait remplacer « absolu » par « total ».
À l’imitation de la constitution américaine, l’Assemblée constituante de 1791 introduit l’idée d’un texte écrit qui, en somme, se substitue aux coutumes et à l’interprétation du droit romain. L’instabilité constitutionnelle en résulte avec l’alternance de l’accent sur un exécutif fort ou au contraire sur un exécutif tempéré par un régime d’assemblées. Dans l’esprit du législateur, la Constitution qui nous régit, celle du 28 septembre 1958, était destinée à établir un régime présidentiel fort. Elle était faite à la mesure du général De Gaulle, lui accordant ainsi un principat, comme la Constitution de l’An VIII pour Bonaparte, Premier Consul.
Aujourd’hui, plusieurs années après, nous nous apercevons qu’il ne reste presque rien des institutions nées de la Constitution de 1958, sinon une mascarade. L’esprit même des Institutions a été dévoyé par De Gaulle en personne lorsqu’il a avalisé la guerre de sécession de l’Algérie, en accordant l’indépendance au FLN, vaincu sur le terrain. Le Gouvernement aliénait délibérément la souveraineté nationale sur des départements français, partie intégrante de la République française.
Ce seul exemple suffit à s’interroger sur le bien-fondé du terme « institutions politiques » dans la situation française actuelle. D’ailleurs, sur le plan institutionnel, en introduisant l’élection du président de la République au suffrage universel, De Gaulle faussa le sens des institutions puisque la fonction essentielle du chef de l’État, dont l’autorité avait été précisée par la Constitution, était maintenant laissée au gré des passions électorales.
Nous sommes ainsi revenus au régime des partis et des factions que De Gaulle avait lui-même stigmatisé dès le discours de Bayeux en 1946.