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Pierre Debray, maître méconnu

Par Gérard Leclerc

Voici la seconde partie de l’entretien de Gérard Leclerc réalisé par l’abbé de Tanoüarn sur Radio Courtoisie. Ou l’on découvre un maître trop peu connu de l’Action française après la mort de Maurras : Pierre Debray

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ABBÉ DE TANOÜARN – Dans votre livre, vous en parlez beaucoup. Ces deux hommes sont d’ailleurs très différents. Pierre Boutang est sorti de l’université normalien, agrégé, docteur. Pierre Debray semble plutôt un journaliste autodidacte

GÉRARD LECLERC – Pierre Debray est, lui aussi, passé par l’université : il était historien et sociologue, sinon professionnellement, au moins de formation. Après la guerre, il a commencé à développer une critique des idées extrêmement pointue. Je lui dois énormément, notamment grâce à la rubrique qu’il tenait dans Aspects de la France, intitulée le « Combat des idées ». C’est lui qui m’a donné, semaine après semaine, ce goût du combat des idées et c’est à partir de là que j’ai développé ma propre vocation.

Pierre Debray était plus un militant chrétien que ne l’était Pierre Boutang…

C’est vrai, mais peut-être faut-il expliquer qui était Pierre Debray. Politologue, journaliste, son destin est assez extraordinaire. Ce nom est en fait un pseudonyme, il s’appelait Sadi-Louis Couhé. D’origine vendéenne « bleue », il expliquait souvent qu’il avait été élevé par un grand-père syndicaliste révolutionnaire. Baptisé, il avait perdu toute pratique religieuse jusqu’à sa classe de philosophie, où il a eu comme professeur une jeune enseignante catholique disciple du philosophe Maurice Blondel, et dont c’était la première année d’enseignement. C’est cette jeune philosophe qui l’a converti au catholicisme : une conversion extrêmement solide, Debray est demeuré un catholique fervent jusqu’au terme de son existence. Pendant l’Occupation, étudiant en Sorbonne, il s’est engagé dans un réseau chrétien de résistance. Il a été très influencé par l’aumônier des étudiants catholiques de la Sorbonne, le père jésuite et futur cardinal Jean Daniélou. Après la Libération, Debray a fait un passage à la France catholique, puis s’est engagé du côté de la gauche chrétienne, collaborant à Témoignage Chrétien et à la revue Esprit. À partir de là, il a glissé de plus en plus du côté du Parti communiste, au point d’entrer dans les « structures parallèles » du parti. Encore tout jeune mais déjà très brillant, il est devenu un « compagnon de route », prenant des responsabilités considérables au Mouvement de la Paix et à France-URSS, deux des plus importantes « courroies de transmission » du parti. Il a même fait un voyage en Union soviétique – Staline vivait encore… – qu’il a raconté dans un ouvrage intitulé Un catholique retour de l’URSS : un vibrant éloge de la Russie stalinienne ! Or, il se trouve qu’à ce moment-là, vers 1952, va s’engager un débat surprenant entre Pierre Debray et Pierre Boutang – qui avait alors pris la suite de Maurras dans l’hebdomadaire Aspects de la France. Debray, retourné, va adhérer à l’Action française ! Étonnante prise de guerre : un passage direct du Parti communiste à l’Action française ! Et lorsque Boutang, en 1955, quitte le mouvement, c’est Pierre Debray qui va prendre sa place comme chef de file intellectuel de l’Action française.

J’ai connu Pierre Debray dans sa dernière phase, une phase chrétienne très engagée où, au moment des désordres qui ont suivi le concile Vatican II, il a réuni ceux qu’il appelait « les silencieux de l’Église », ceux qui subissaient sans pouvoir protester…

Oui, je vais passer sur les péripéties de l’Action française, en précisant seulement qu’à un moment, on a pensé que Debray allait prendre un poste de direction dans le mouvement, mais ce ne fut pas le cas. Alors il s’est engagé pleinement dans le combat religieux. Ce mouvement des « silencieux de l’Église », qu’il a fondé, qui réunissait des personnalités politiquement très diverses et un grand nombre de fidèles déboussolés, en donnant une voix à cette majorité jusque-là silencieuse, est devenu très important. Ce que l’Épiscopat a fini par reconnaître. Je me rappelle que le futur cardinal Etchegaray, alors secrétaire de la Conférence des évêques de France, n’était pas fâché de voir ce mouvement s’affirmer par rapport à une Action catholique très à gauche et même portée à collaborer avec le Parti communiste. Il y aurait beaucoup de choses à raconter sur Debray, comme le succès du Courrier hebdomadaire qu’il a publié jusqu’à sa mort. La Nouvelle Revue universelle lui a consacré un important dossier dans son n°56, en 2019, auquel j’ai participé. Mais il reste un mystère : j’ignore ce que sont devenues ses archives, qui constitueraient, si on les retrouvait, une mine d’or. J’ai interrogé des historiens, notamment Yves Chiron, pour l’instant en vain.