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Maurras universaliste

Par Gérard Leclerc

Voici la quatrième partie de l’entretien de Gérard Leclerc réalisé par l’abbé de Tanoüarn sur Radio Courtoisie. Dans la troisième nous avons découvert Pierre Boutang son héritier spirituel et dans la seconde un maître trop peu connu de l’Action française après la mort de Maurras : Pierre Debray. Maintenant Gérard aborde le thème de l’universalisme chez Maurras.

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ABBÉ DE TANOÜARN – Puisque nous sommes dans la philosophie, pourriez-vous définir ce qu’est, selon vous, la philosophie de l’Action française, comment voyezvous ce que son message politique a d’universel ?

GÉRARD LECLERC – Il faut, pour cela, revenir à Charles Maurras lui-même, à son destin personnel. Vous savez qu’il disait de son maître, l’abbé Penon, futur évêque de Moulins, qu’il lui devait tout sauf la vie ! Un jour, il avait quatorze ans, le jeune Charles n’entend plus ce que dit le professeur : il découvre sa surdité. Désormais incapable de suivre les cours normaux, il va avoir la chance extraordinaire de tomber sur un professeur, l’abbé Penon, qui va devenir son précepteur. Un précepteur extraordinairement cultivé, et pédagogue-né, qui va initier l’adolescent à la littérature française mais aussi à la culture classique, française, latine, et à la Grèce, surtout la Grèce. Pour le futur auteur d’Anthinéa, ce fut fondamental…

On voit là les racines méditerranéennes de sa pensée et l’humanisme qu’elles impliquent

Le jeune Maurras adolescent est en pleine crise métaphysique et spirituelle, et il va connaître diverses périodes. On a dit qu’il a eu une phase bouddhiste, puis une phase nihiliste. Il a eu, avec certitude, une phase « mennaisienne » : il a été plusieurs années un lecteur assidu et enthousiaste des Paroles d’un croyant de Lamennais…

Vous êtes vraiment une mémoire vivante de la vie de Maurras, votre livre Une autre Action française est particulièrement intéressant pour tous ces détails. Je n’avais jamais entendu parler d’un Maurras bouddhiste ! Ni d’un Maurras admirateur de Lamennais, je le croyais hostile depuis toujours à la démocratie chrétienne.

Il raconte cela dans son livre Au signe de Flore. Il en a peu parlé mais, pour moi, c’est fondamental, car l’un des problèmes de Maurras, c’est la figure même du Christ. Dans la préface de son premier livre, Le Chemin de Paradis, il oppose ce qu’il appelle « le bizarre Jésus romantique et saintsimonien » au « divin Jupiter qui fut, pour nous, crucifié ». Cette dernière formule, il l’emprunte à Dante.

Il a été aussi un grand lecteur de Dante…

Absolument ! L’un des plus beaux textes de Maurras s’intitule Le conseil de Dante. Il voit une opposition fondamentale entre le « Jésus romantique » et le Jésus de Dante. Or, le Jésus de Dante, c’est le Jésus du catholicisme, c’est le Jésus d’une religion articulée qui se réclame explicitement des conciles et des grands docteurs de l’Église. Je me permets d’insister un peu sur ce point, parce qu’on a souvent dit – ce fut l’une des grandes accusations à l’encontre de Maurras – qu’il était un païen, foncièrement marqué par l’hellénisme. On se référait à son magnifique livre Anthinéa. Mais il faut comprendre la signification de cet attachement à la Grèce. Il s’en explique dans ses lettres à Mgr Penon : il lui rappelle que c’est lui, Jean-Baptiste Penon qui, encore simple prêtre, lui a appris l’importance de la conception grecque du noûs, la raison. De fait, son attachement à l’hellénisme est lié à un véritable culte de la raison. Or, nous sommes à une époque – au tournant des XIXe et XXe siècles – qui a vu se répandre le rationalisme athée. Et ce culte maurrassien de la raison, on a cru pouvoir l’opposer, lui aussi, au christianisme. 

C’est un énorme problème. Je me permets de faire ici un trou dans le temps. En 2006, Benoît XVI a fait un discours à Ratisbonne qui a été très controversé car, en condamnant toute violence faite au nom de la religion, il mettait en cause l’islam. Pourtant, le plus frappant dans ce discours, c’est l’extrême importance qu’il donnait à l’association de la raison et de la foi. En 1998, il avait collaboré à la grande encyclique de Jean-Paul II Fides et ratio, la foi et la raison. Pour Benoît XVI, la foi, portée par toute la tradition scripturaire biblique, avait fait alliance avec la raison grecque.

Maurras aurait sûrement été extraordinairement intéressé par le discours de Ratisbonne, et l’attachement à la rationalité grecque de ce pape théologien par excellence.

Il a pourtant été présenté comme athée par d’excellents historiens. Je pense à Jacques Prévotat, historien de la condamnation Une autre Action française de l’Action française par Rome, qui, à deux ou trois reprises dans son livre, taxe Maurras d’athéisme.

Je ne connais aucune déclaration d’athéisme, directe ou indirecte, de la part de Maurras. J’attends que l’on me donne une citation, moi, je n’en ai jamais vue, même dans sa correspondance privée. Par contre, ce que je sais très bien, c’est que, dans son livre L’Action française et la religion catholique, de 1913, il dit que ceux qui tentent de formuler sa pensée philosophique et métaphysique ne savent pas l’impossibilité à laquelle ils s’exposent.

Parce que, pour lui, les choses ne sont alors absolument pas fixées. S’il utilise les catégories grecques ou la mythologie grecque, c’est parce qu’elles l’aident à formuler les grands problèmes, mais il n’y a pas chez lui, comme on l’a prétendu, de paganisme métaphysique ou philosophique. Son attachement à la Grèce est surtout intellectuel, esthétique et culturel si l’on veut, et s’il comporte une dimension religieuse, celle-ci n’est pas forcément contraire au christianisme, comme Mgr Penon l’expliquait alors à Maurras.

Mais il faut aussi souligner son attachement profond au catholicisme. Il y a chez lui toute une apologétique de l’Église catholique comme fondatrice de notre civilisation. Contrairement à ce qu’on a pu prétendre, Maurras ne retient pas du catholicisme uniquement son rôle dans l’histoire de la France. Il lui reconnaît une valeur universelle. L’apologétique maurrassienne, c’est fondamentalement l’apologie du génie universel du catholicisme.