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Maurras universaliste personnaliste

Par Gérard Leclerc

Voici la cinquième et dernière partie de l’entretien de Gérard Leclerc réalisé par l’abbé de Tanoüarn sur Radio Courtoisie, au sujet de la publication de son ouvrage Une autre Action française ? aux incontournables Éditions de flore.

Dans la quatrième partie, Gérard nous a dévoilé le Maurras humaniste et universaliste. Dans la troisième nous avons découvert Pierre Boutang, son héritier spirituel et dans la deuxième un maître trop peu connu de l’Action française après la mort de Maurras : Pierre Debray. Aujourd’hui Gérard aborde le Maurras personnaliste.

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ABBÉ DE TANOÜARN – Un universalisme qui donne à l’homme une nouvelle identité…

GÉRARD LECLERC – Oui, tout à fait. Il y a un universalisme de Maurras. Contrairement à ce qu’on croit souvent, Maurras n’est pas enfermé dans un nationalisme philosophique ou métaphysique. Le texte le plus important de Maurras à ce sujet, c’est sa préface à Mes idées politiques, où il donne une définition de la personne. D’une certaine façon, Maurras est personnaliste.

Il y a quelque chose sur la définition de la personne dans Mes idées politiques ?

Oui, dans le 2e chapitre de la célèbre préface sur la « politique naturelle » – chapitre intitulé « Liberté + nécessité » –, il donne une définition philosophique de la personne, qu’il fait remonter à l’Antiquité : « Nos Anciens », écrit-il,« ne doutaient pas que la personnalité fût également présente dans l’esclave et dans le maître. Le petit serviteur platonicien portait en lui, comme Socrate, toute la géométrie… Toute l’activité rationnelle et morale des hommes [se] trouve soumise à une même législation ». Il faut, bien sûr, lire tout le développement que Maurras donne à cette idée. Mais, d’une certaine façon, cette définition va à l’encontre de Joseph de Maistre affirmant qu’il n’avait jamais rencontré « l’Homme », avec un grand H, mais des hommes. Maurras répond : non, il y a une humanité foncière présente dans chaque personne. Le jugement et la conscience morale se retrouvent en chaque être humain. En ce sens, il y a bien un universalisme personnaliste chez Maurras.

Enfin, il ne faut pas oublier que Maurras, à dix-sept ans, a lu toute la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin, et qu’il en est resté marqué de façon indélébile. Je suis profondément convaincu qu’en ce qui le concerne, le mot « athéisme » est tout à fait hors sujet. Le mot qui le définirait le mieux est l’agnosticisme. Un agnosticisme relatif, d’ailleurs. Si l’on va rechercher dans la préface de La Musique intérieure, et dans les derniers poèmes de La Balance intérieure – ses deux recueils de poèmes les plus importants –, on voit qu’il n’a pas trouvé le grand soleil de la foi, mais, dit-il, comme son « clair de lune ». C’est le signe d’une évidente évolution intérieure.

Y compris sur la Bible, sur l’Ancien Testament ?

Absolument. Dans mon livre, je fais une mise au point sur l’antijudaïsme de Maurras. Un antijudaïsme de jeunesse où il s’en prend au prophétisme biblique : il y voit le génie de l’anarchisme intérieur et qualifie Rousseau de prophète biblique. Mais dans la réédition de ce texte, en 1923, il remplace « prophète biblique » par « faux prophète ». Il s’en expliquera par la suite, reconnaissant que le prophétisme juif n’a rien d’anarchique ou de révolutionnaire. En 1943, en pleine Occupation, il reprendra dans l’Action française, en l’approuvant entièrement, une étude sur les prophètes bibliques qui allait dans ce sens. Boutang cite cette étude et en souligne l’importance dans l’annexe III de son ouvrage Maurras, la destinée et l’œuvre.

Ceux qui prétendent comme Maritain et d’autres que Maurras, philosophiquement, n’a jamais évolué, se trompent. Il y a une réelle évolution intellectuelle de Maurras, notamment par rapport à la Bible. J’irai même plus loin. On a beaucoup reproché à Maurras d’avoir, dans la préface de son premier livre, Le Chemin de Paradis, parlé, à propos des quatre Évangélistes, de « quatre juifs obscurs ». La formule n’était pas de lui, mais il y avait quand même un réel problème : Maurras, à cette époque, laissait complètement de côté les Évangiles au profit d’une vision purement philosophique du christianisme. Il est tout à fait revenu là-dessus, on le voit dans un petit texte, important mais peu connu, sur Judas. Le prétexte était une polémique contre Claudel à ce sujet. Ce que j’en retire surtout, c’est que Maurras y apparaît comme un lecteur très pointu, très exact des Évangiles. Il constate même ce que l’on appelle l’« inerrance » de l’Évangile : l’expression n’y est pas, mais il souligne la rigueur et la parfaite cohérence des différents textes évangéliques évoquant le personnage de Judas.

En fait, il est toujours resté le « blanc de Provence », catholique, de son enfance. Sa mère, en recevant les derniers sacrements, lui a dit : « Charles, tu feras comme moi ». Il avait cet attachement viscéral à sa race, à sa famille et aussi à sa religion, à travers cette foi « clignotante »…

C’est un personnage très curieux et mystérieux. Il a perdu son père très jeune, et a été élevé par une mère extrêmement pieuse. Il semble bien que, de son adolescence à sa mort, il ait porté sur lui un scapulaire de Notre-Dame du Mont Carmel. Dans son premier livre, le Chemin de Paradis, il y a un conte, qui a fait scandale à l’époque, intitulé « La bonne mort ». C’est l’histoire d’un adolescent qui va vers le suicide mais qui, en même temps, se confie à la Vierge avec, sur le cœur, ce scapulaire. Or, à la mort de Maurras, on a trouvé sur lui des médailles, une relique de sainte Thérèse de Lisieux (donnée par la sœur aînée de Thérèse), et puis ce fameux scapulaire. Pour moi, c’est tout à fait saisissant. Il y a là toute une exégèse à faire : on attend d’Hilaire de Crémiers, à ce propos, qu’il nous livre une synthèse de ses années de réflexion sur le sujet.

Avant de devoir clore à grand regret cet entretien, cher Gérard Leclerc, à vous le dernier mot.

Ce sera celui-là même par lequel je conclus mon livre. Évoquer Maurras, ses disciples les plus prestigieux et l’École d’Action française n’a, pour nous, rien à voir avec une simple commémoration du passé. Peut-être, dans cet entretien, n’avons-nous pas assez parlé du message politique de l’École maurrassienne. Résumant la pensée de Pierre Boutang, George Steiner écrivait : « Si fragile et problématique soit‑elle, la monarchie incarne ce mystère du pouvoir délégué par Dieu sans lequel la société humaine devient bestiale ». La monarchie apparaît comme la meilleure expression d’une autorité ferme, soucieuse du seul bien commun, et soumise au consentement populaire et au respect des libertés. Ce qui incite chaque personne à accéder à sa propre « royauté » sur elle-même. Mais les maux affectant l’intelligence se renouvellent à chaque génération. Aujourd’hui, face à la déconstruction générale de notre civilisation, tous ceux qui voient en elle un capital transmis, mais menacé, doivent faire front. En trouvant les moyens actuels de continuer le combat génialement défini, il y a un peu plus d’un siècle, par l’auteur de l’Avenir de l’intelligence.