You are currently viewing Droit et régime, le rappel du réel

Droit et régime, le rappel du réel

par Marc-François de Rancon

Notre billet du 19 courant (https://www.actionfrancaise.net/2024/10/19/assez-des-tas-de-droits/) fustigeant l’abus de la notion d’État de droit nous a valu quelques réactions intéressantes et fondées. Dont une particulièrement sensée, émanant qui plus est d’un Breton très à cheval sur l’identité de son duché. Un homme de surcroît érudit, en histoire de la Bretagne et de ses rapports avec le royaume de France, puis des régimes républicains successifs qui l’ont gouvernée.

Le jeu de mots est certes léger mais significatif de la dérive de la notion d’État de droit en des tas de droits. Au-delà il n’a pas échappé à notre lecteur attentif que « la monarchie a été fragilisée par l’absence d’un Droit (uni), ou par la multiplicité des Coutumes et de leurs interprétations. D’où le pouvoir effarant des Parlements ». Il ajoute en toute honnêteté que, bien qu’il se considère comme nationaliste breton, il a le courage et il est « capable de juger de l’action néfaste des parlementaires rennais, robins crispés sur leurs privilèges, absolument pas sur les franchises provinciales ». On vous croit, cher lecteur-correcteur, selon la formule à la mode, agaçante mais pertinente en l’occurrence.

Car vous avez raison. L’absence d’un droit souverain unique dans tout le royaume représentait une fragilité. Peu de gens en sont conscients, persuadés par deux siècles de bourrage de crâne révolutionnaire/républicain que la centralisation abusive était la norme sous l’Ancien Régime. D’autant plus qu’ils sont gavés – depuis la maternelle jusqu’à l’âge de l’intoxication via France Inter et BFM – par la fable, tout aussi contraire à la réalité historique, du « pouvoir absolu », ce mode de gouvernement présenté au mieux comme dictatorial, au pis comme tyrannique.

Ce qui est réel et véritablement absolu en revanche, c’est l’anachronisme commis par le « citoyen », contemporain ou non, quand il utilise, encore de nos jours et jusque dans des milieux à prétention culturelle et politique, le terme« jacobinisme » en parlant de la structure administrative fondée pendant un millénaire et demi par la monarchie… Quelle inculture béante, quel manque de repères, à commencer par chronologiques ! Il y aurait plutôt lieu de parler de « centralisation ». Laquelle sous nos rois était faible et précaire, voire insignifiante en matière juridique, en comparaison avec la férule parisianiste républicaine qui a depuis lors gangrené l’institution judiciaire, comme toutes les autres fonctions ex-régaliennes, au demeurant.

En vérité les rois de France n’ont jamais franchement souhaité une organisation judiciaire unique. Unifiée sur certains points, ça a traversé la tête de certains de nos souverains, surtout celle de quelques grands commis d’État. Mais d’une part, le pouvoir du roi, le suzerain des suzerains, ne s’étendait pas jusque-là, d’autre part la construction progressive du royaume de France s’est effectuée par annexions et allégeances successives des provinces, en contrepartie du respect par le roi des pouvoirs propres et réservés des vassaux. Sans compter, en outre, comme le rappelle notre lecteur attentionné et bien intentionné, la susceptibilité sourcilleuse des parlements de justice des provinces, leurs conseillers craignant de voir grignoter leurs fromages personnels.

N’oublions pas non plus que cette soif inextinguible de pouvoir judiciaire et de contrôle centralisé, inhérente aux régimes démocratiques et républicains car sans tentation totalitaire ils ne peuvent ni s’instituer ni perdurer, était quasi inconnue sous l’Ancien Régime. Le respect du « maître chez soi », chez l’autre, était naturel. L’adage « vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà » s’appliquait certes à l’étranger largo sensu, mais aussi aux autres provinces que le domaine royal stricto sensu.