Ni Washington, ni Pékin
Par Philippe Germain
Le pays légal est désorienté par la fièvre planétaire qui s’accélère. Sa boussole opposant le camp du bien (Lumières) au camp du mal (anti-Lumières) peine à comprendre l’actuelle reconfiguration remplaçant le « Nouvel ordre mondial ». L’inattendu retour des États-nations et des vieux Empires se plie mal à l’interprétation binaire des géopoliticiens. Leur clef explicative Occident/Sud global fonctionne « de loin » mais se grippe dans le détail.
L’observation des « cycles historiques » est préférable. Elle dégage un résultat ternaire avec le cycle libéral, celui islamique et enfin illibéral. L’Islamique et l’illibéral sont « identitaires ». Le libéral et l’islamique sont « mondialistes ». Le libéral en phase de déclin et l’illibéral des BRICS en phase d’émergence participent au recentrage stratégique sur la zone indo-pacifique, où le mature cycle islamique est actif. Avec un important conflit militaire sur le continent européen et un second au Moyen-Orient, le cycle libéral peine à tenir trois fronts. Il va prioriser la confrontation indo-pacifique avec la Chine, au détriment de l’Europe. Ce tournant stratégique est incontournable car, dira en 2022 le Président Biden, l’Indo-Pacifique est « l’épicentre géopolitique du XXIe siècle ».
Le concept de « zone indopacifique » est utilisé par les États ayant des intérêts dans les océans Indien et Pacifique. Il existe deux géostratégies contradictoires. L’une fondée sur la rivalité avec la Chine et l’autre incluant la Chine dans la zone. Géostratégies car cette zone reliant la puissance ascendante chinoise et les États-Unis, puissance déclinante, est devenue un espace de convoitise. La peur d’être dépassée par les « Nouvelles routes de la soie » pousse l’Amérique dans la confrontation. Elle fédère l’alliance QUAD (États-Unis, Inde, Japon, Australie) pour s’opposer à la Chine qui développe sa marine afin d’améliorer sa capacité de projection.
Longtemps méprisante, l’Europe découvre le renforcement des sphères d’influences chinoise, indienne et préconise une stratégie coopérative. Mais voilà, la France est le seul pays européen présent dans l’Indo-Pacifique. Notre « plus grande France » dispose de quatre atouts maîtres : son Outre-Mer, sa maîtrise du nucléaire stratégique, sa couverture maritime et la francophonie. Son rôle – ridicule sur le continent européen – pourrait être majeur dans l’Indo-Pacifique.
Preuves par l’Étranger… Les États-Unis d’Amérique ont fait capoter « le contrat du siècle » de nos sous-marins océaniques « Barracuda » pour l’Australie. En Nouvelle-Calédonie, l’ingérence chinoise, via le proxy azerbaidjanais, est évidente. Depuis le lamentable abandon républicain de « la Côte française des Somalis » (1977), la Chine y a implanté une base militaire offrant un accès stratégique à l’Indo-Pacifique et Djibouti abrite la seule base militaire américaine permanente en Afrique.
La stratégie de la République française, elle, est franchement minimaliste : assurer la sécurité maritime, garantir la liberté de navigation et de survol en haute-mer et, enfin, dialoguer avec la Chine. Une vision ambitieuse serait pourtant possible à condition d’éviter la diplomatie républicaine de l’esbroufe invoquant de grands principes creux. Pour de moyens et petits États insulaires de la zone indopacifique, l’affirmation d’une stratégie « nationale » pour éviter de prendre parti dans cette confrontation répond à la bipolarisation sino-américaine. Voilà une belle opportunité pour une diplomatie française d’influence de type « ni Washington, ni Pékin ». La France a déjà marqué des points avec I’Inde qui achète nos sous-marins « Scorpène » en suivant l’exemple de la Malaisie. Une France puissance pourrait jouer son rôle naturel d’éveilleur et de fédérateur mais aussi de défenseur de la pérennité et de la liberté des nations face aux empires. Ce faisant, la France s’inscrirait dans le cycle illibéral tout en prenant conscience que l’Europe n’est qu’un miroir aux alouettes pour Français qui ne s’aiment pas eux-mêmes. Une bien belle vision d’avenir.
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